L’art de souder une équipe

Paru dans le 24 Heures du 22 janvier 2004L’art de souder une équipe Fusion, acquisition, réorganisation, restructuration, tous ces mots en «ion» masquent difficilement la détérioration du climat qu’ils provoquent dans une entreprise. A elles seules, les rumeurs incontrôlées suffisent à renforcer cette ambiance délétère. «Les incertitudes stratégiques suscitent un retour à l’individualisme des collaborateurs de l’entreprise, constate Jean-François Tagini, consultant. On la joue tout seul, on assure son poste, on se met en valeur et on oublie le travail en équipe. Et certains managers autocrates ne font rien pour améliorer cette situation.» Par contre, d’autres employeurs voient dans le «teambuilding» un moyen particulièrement efficace pour (re)créer et développer l’esprit et le travail d’équipe. «Là où les premiers estiment, à juste titre d’ailleurs, qu’il est plus efficace, à court terme, de développer au sein de l’entreprise le culte de la performance plutôt que de se contenter de créer un environnement favorable au travail en équipe, les seconds sont persuadés que la dynamique d’équipe permet de stimuler la performance et favorise l’acquisition de nouveaux savoirs plus efficacement qu’un cadre organisationnel plus large ou que des personnes isolées.»En quatre étapesPour Jean-François Tagini, le «teambuilding» idéal se déroule sur quatre séances. La première a pour but de définir et de mettre en commun les forces individuelles. Concrètement, chaque participant doit apprendre à se connaître et à connaître les autres. Dans ce but, il remplit un questionnaire d’où va ressortir une empreinte de sa personnalité. Un profil moyen de l’équipe est défini — par exemple: on est sensible à la solidarité, on est gentil, on est perfectionniste ou encore on est autoritaire — et chacun de ses membres découvre ses écarts par rapport à cette moyenne. Cette première étape permet donc aux participants, à côté des échanges au sein de l’équipe, de prendre conscience de leur mode de fonctionnement puis de décider leurs premières résolutions.La deuxième séance se déroule en général à l’extérieur. Là il s’agit d’une course d’orientation d’une durée de deux heures et demie environ dans les Préalpes, avec carte au 1:25 000 et souliers de marche ou, en cas de neige, raquettes aux pieds. Elle est suivie d’un repas pris en cabane puis d’une séance de débriefing. «Ce débriefing est particulièrement important pour que tous les membres du «team» puissent exprimer leurs impressions et leurs sentiments. Il s’agit, en quelque sorte, d’une «opération lavement» au cours de laquelle chacun met en discussion toute une série de valeurs qu’il rencontre dans son activité professionnelle et qu’il a pu expéri-menter lors de cette course d’orientation: l’esprit d’initiative, la solidarité, l’ouverture aux autres, le respect, etc.». Jean-François Tagini admet toutefois que cette séance n’est pas toujours réalisable sous cette forme; malgré les encouragements des autres, chacun ne se trouve pas nécessairement du jour au lendemain une vocation de marcheur en montagne. L’exercice a également échoué, une fois, parce que l’entente était particulièrement mauvaise au sein du team.De même que lors de la deuxième, de nouvelles résolutions sont prises avec la troisième séance. Mais l’activité principale de celle-ci consiste en un exercice de construction, qui rappelle le jeu d’entreprise à cette différence près, fondamentale, que l’exercice n’a rien à voir avec l’activité professionnelle des participants «car il faut savoir lâcher prise durant ces séances de «teambuilding». On peut d’ailleurs parfaitement imaginer une séance de tam-tam africain. De toute façon, le consultant n’est pas là pour donner des leçons aux participants, ni pour leur apporter des solutions toutes faites. Ce sont eux qui doivent susciter les exercices.» Là aussi le débriefing de l’exercice est particulièrement important, afin que chacun puisse en tirer ses conclusions et les exprimer. Enfin, une quatrième et dernière séance est agendée trois mois environ plus tard. Elle consiste en une séance de suivi qui permet de vérifier la (bonne) application des résolutions.Exprimer les non-ditsJérôme Gayet a participé à un «teambuilding» avec six collaborateurs du service du marketing de la société de vente par correspondance La Redoute. Le but visé par cette initiative était triple: redéfinir les valeurs, travailler ensemble et souder une équipe comprenant des personnes fraîchement intégrées; saisir l’occasion de se retrouver ensemble, ailleurs qu’au bureau, ce qui n’est pas chose aisée pour une entreprise à vocation internationale; enfin, faire un break et procéder à des échanges entre collègues de la même équipe, en encourageant notamment chacun à exprimer ses non-dits. «L’exercice est trop récent pour que l’on puisse en tirer des conclusions définitives, admet Jérôme Gayet. J’en retiens toutefois plusieurs éléments positifs. Tout d’abord, les tests de personnalité permettent à chacun de mieux se connaître et de mieux connaître ses collègues, les freins et les moteurs du travail de l’équipe. Les exercices, avec à chaque fois un débriefing, sont tout aussi utiles: nous apprenons à nous dire beaucoup de choses sans sombrer dans le déballage. La course d’orientation? Très intéressante parce qu’elle a permis de voir jusqu’où l’équipe peut aller. Celle-ci est jeune, mais nous avions l’entière faculté de choisir un autre exercice.»Jérôme Gayet met deux conditions à la réussite du «teambuilding»: tout d’abord que le chef de l’équipe montre qu’il est dans le même bain que ses collaborateurs en participant avec eux aux différentes séances. Ensuite, que l’on évite que le soufflé ne retombe: «Chacun repart à son occupation professionnelle plein de bonnes résolutions. Il s’agit de les tenir par la suite. Il est donc souhaitable que l’équipe fasse le point de temps en temps, qu’elle se crée des espaces de parole, seule ou avec l’appui d’un coach.»ÉTIENNE OPPLIGER

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